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Films
en accès libre

Lundi 31 mai 2010



Suite aux diffusions du samedi, le concours des Molénais au jeu de l'analyse documentaire s'est renforcé et ils ont été nombreux à franchir le seuil du lieu de travail de la Cinémathèque. Certains récits restent parmi les séquences les plus fortes de cette journée : ainsi de Jean-Paul Monot, ancien capitaine de gabarre à bord de L'Yvette et de L'André-Yvette, de Léone Calvez, ancien goémonière du Ledenez, de sa soeur Madame Masson, femme de l'ancien patron de l'Auguste Tertu, ou encore de Donatienne Pérhirin, femme de Goulven, ancien commandant du canot de sauvetage dans les années 1980. Ces témoignages, nous les avons partagés avec une équipe de France 3 Iroise, venue enquêter sur cette résidence expérimentale.



Les gabares sont des bateaux qui ont une histoire intimement liée à celle des îles du Finistère. Ces gros dundées étaient en charge du ravitaillement des îles : elles assuraient leur part dans la continuité territoriale en apportant sur Molène des marchandises essentielles mais lourdes à transporter. Jean-Paul Monot a été capitaine des deux gabares Molénaises : « L’Yvette » puis « l’André-Yvette ».

Je me suis embarqué sur « l’Yvette », la gabare de mon père en 1955, à l’âge de 14 ans. On amenait sur Molène tout ce qui était trop lourd et que les vedettes de « l’Enez Eussa I » ne pouvaient décharger. : les matériaux de construction, le diesel, le vin, la farine, le charbon, etc. On ramenait aussi les verres consignés sur le continent.

 

 

 

La gabare "l'Yvette" au chargement au port de Molène. Ici, elle embarque les bouteilles de verre vides qui sont consignées pour le continent. Les femmes aidaient au travail de chargement. Photogrammes extraits du film "Les goémoniers de Molène" de Roger Dufour (1956 environ)

Au retour de mon service militaire, en 1961, mon père était décédé. J’ai donc repris le commandement de « l’Yvette ». En 1964, j’ai acheté une gabare plus grande, « l’André-Yvette » aux frères Quéméneur, de Lampaul-Plouarzel.


 

Le chargement de "l'Yvette" par les goémoniers de Béniguet. Extrait du film "Goémoniers à Béniguet" de Corentin Beauvais (1955 environ).


Une grosse partie de l’activité des gabares était aussi liée aux goémoniers. On transportait leurs marées une fois qu’elles étaient sèches pour les vendre sur le continent. On s’échouait à mi-marée sur l’île, et dès que les charrettes des goémoniers pouvaient accéder au bateau, on commençait le chargement. En général, à la renverse de marée, le chargement était terminé. Une fois le goémon chargé sur le pont, diriger le bateau devenait plus compliqué car il n’y avait plus de visibilité pour le barreur. Il fallait un barreur qui connaisse parfaitement bien le secteur, et un homme sur le tas de goémon qui lui servait de paire d’yeux.

Dans les années 50 le goémon était déchargé au Conquet où des camions venaient le récupérer pour les usines de Landerneau. Nous étions payé à la tonne de goémon transporté. Avec « l’André-Yvette » j’ai fait jusque six ou sept chargements par semaine pendant l’été.

Par la suite, on a envoyé le goémon directement à Brest : c’était devenu plus facile et plus rapide que de l’emmener au Conquet ou dans les Abers où il fallait attendre la marée. Au port de Brest, on n’avait pas d’attente et on pouvait faire l’aller-retour en sept heures.


Embarquement de chevaux à bord de "l'Alain Gerbault". Extrait du film "Ici finit la Terre" de Corentin Beauvais (1956).


Il nous arrivait aussi d’embarquer des bêtes. Dans ce cas, le chargement était beaucoup plus délicat. Dans cet extrait, il s’agit de chevaux lâchés sur l’île Béniguet par un maquignon pour êtres engraissés. La gabare qui effectue ici le chargement est l’ « Alain Gerbaut » qui appartenait à Michel Alençon de Lampaul-Plouarzel.

Avec « l’André-Yvette » on a aussi transporté des vaches vers Molène. Elles étaient hissées sur la gabare par les cornes, et pour les débarquer on les jetait dans l’eau pour qu’elles nagent jusqu’au quai.

 


La "Fleur de Lampaul" et la "Fleur de mai", deux gabares de l'Aber Ildut. Ces caboteurs ont notamment transporté le sable et les galets qui ont servi à la reconstruction de Brest. Photogrammes extraits du film "Quéménez" de Hervé Péron (1967 environ)

 

Lorsque j’ai acheté « l’André-Yvette » en 1964, il n’y avait déjà plus de goémoniers à Béniguet, et ceux de Quéménez partaient. Au début des années 70, lorsque les goémoniers ont commencé à livrer eux-mêmes le goémon mouillé directement aux usines, une partie de notre activité a largement décliné. De plus, le Service Maritime Départemental qui assurait le transport des passagers s’est aussi mis à livrer les matériaux lourds que nous transportions habituellement. Au final, nous ne faisions plus que deux ou trois sorties par mois et l’activité était devenue trop peu rentable.

J’ai aussi ravitaillé et fait du transport de passagers vers l’île de Sein pendant un moment. La nourriture, le vin, le charbon, la farine étaient commandés par les Sénans aux commerçants Molénais. Mais cette activité ne rapportait pas assez de bénéfices pour assurer le fonctionnement de la gabare. Au final, j’ai donc revendu « l’André-Yvette » et je suis allé travailler chez le concurrent, le Service Maritime Départemental.

 



La pêche est une activité traditionnelle de l'île Molène. Les revenus de la pêche ont provoqué les vagues d'émigration successive sur l'île à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. C'est aussi en partie la baisse d'activité de la pêche qui fait partir les jeunes et diminuer la population depuis la fin des années 60. Si beaucoup de femmes de Molène ne mettaient jamais les pieds sur les bateaux de pêche, Mme Masson témoigne de la pêche en pleine connaissance de cause : son mari, Emile Masson est un patron-pêcheur depuis longtemps.


Il y a quelque chose qui différencie fondamentalement les deux îles voisines de Molène et Ouessant : c'est l'activité de pêche. Les Molénais sont des pêcheurs depuis toujours, alors que les Ouessantins vont plutôt vers la Marine Nationale ou la Marine marchande. Et pourtant, les eaux autour de nos deux îles sont très poissonneuses. La différence s'explique en partie par la géomorphologie des îles. Ouessant possède de grandes falaises, peu d'accès à la mer et on ne peut pas vraiment y mettre une flotte de pêche à l'abri. A Molène, on est plus bas sur l'eau et aussi plus protégé : l'accès à la mer est beaucoup plus simple. C'est pourquoi, pendant de longues années, et encore aujourd'hui, ce sont surtout des Molénais, mais aussi des bateaux venus d'autres grands ports de pêches de la pointe bretonne comme Camaret, Audierne, Le Guilvinec, qui pratiquaient la pêche autour d'Ouessant et sur les hauts fonds de l'archipel Molénais.


Le baptême de "l'Auguste Tertu" devant toute la population molénaise. Extrait du film de Paul Masson "Tempête 1974" (1974).

La vie d'un bateau commence avec son baptême. A l'île Molène, les bateaux de pêches étaient surtout des langoustiers et fileyeurs, adaptés aux fonds et à la pêche dans l'archipel. "L'Auguste Tertu" a été mis à l'eau en juillet 1974. C'est le dernier gros bateau de pêche mis à l'eau avant la période de crise de la pêche. Mon mari, Emile Masson, associé à ses deux frères, en étaient les patrons. C'était un caseyeur construit à Camaret par les chantiers d'Auguste Tertu qui avait demandé à mon mari de lui donner son nom car c'était sa dernière construction avant fermeture des chantiers.

Au moment du baptême, toutes les personnalités de l'île étaient présentes. Pour "l'Auguste Tertu", il y avait bien sûr Hervé Mingan le curé, mais aussi le maire Auguste Delarue, M. Lacaze, François Kerné, André Cariou, et bien d'autres. Toute la population de l'île était présente et participait au baptême, notamment en chantant. A la fin, on embarquait tout le monde sur le pont et on allait jeter une gerbe en mer.


Pêche au congre et au maquereau au large du Conquet. Extrait du film "Ici finit la Terre" de Corentin Beauvais (1956)


La relève des casiers au petit matin. Extrait du film "Roland" de Paul Masson (1974)

On pêche de tout autour des îles ici, mais de façons différentes. Dans les eaux profondes autour de la fosse d'Ouessant, dans les passages du Four et du Fromveur, on pêche le congre, le bar, le maquereau, le lieu. On utilise des filets et des lignes. Mais les Molénais préfèrent la pêche au casier dans les hauts fonds de l'archipel : on attrape du crabe, des langoustes, du homard selon les saisons.


Les viviers à langoustes du port de Molène. Extrait du film "Roland flâne" de Paul Masson (1974)

A cette époque, deux mareyeurs se déplaçaient sur Molène pour faire leur choix et acheter au plus frais. On conservait donc la pêche dans des viviers sur le port en attendant leur arrivée. Une fois vendus, les crustacés étaient placés dans des caissettes en bois pour leur expédition sur le continent.


Des pêcheurs réparent leur casiers sur le port. Extrait du film "Le Roi Gradlon au Stiff" d'André Mocaër (1948)



Pendant les grandes marées : l'entretien des bateaux de pêche. Extrait du film "Activités au port" de Paul Masson (1974)

Pendant les grandes marées, lorsque le coefficient est supérieur à 100, le courant est trop fort pour pêcher, et même pour sortir en bateau. Depuis longtemps les pêcheurs mettent à profit ce temps d'inaction pour les travaux d'entretien. Quand les casiers étaient en osier, c'était le moment choisi pour réparer ceux abîmés par les pinces des crustacés. On en profitait aussi pour réparer les mailles des filets. Dans le port, les coques des bateaux étaient à sec : cela permettait de refaire la peinture et le calfatage.

Aujourd'hui, mon mari est un des sept pêcheurs professionnels encore en activité sur l'île sur son bateau le "Bugalez Mildiz". Les Molénais ne pourront jamais arrêter la pêche, mais aujourd'hui elle est devenue une activité de loisir, pas assez lucrative pour vivre.



 

 

Molène est surnommée "l'île des sauveteurs". La multitude des îlots et des rochers qui affleurent dans l'archipel, les forts courants entre mer d'Iroise et Manche ont provoqués de nombreux naufrages. Au plus près des éléments, les Molénais gardent un oeil permanent sur la mer et ils sont toujours les premiers à intervenir en cas de drame. Donatienne Pérhirin est la femme de Goulven Pérhirin, l'ancien patron du canot de sauvetage "Jean-Cam" de Molène. Elle raconte le sauvetage en mer, la vie de son mari aujourd'hui décédé.


Nous sommes à la pointe de la Bretagne, dans un endroit où le temps est capricieux, la côte dangereuse, et le trafic des bateaux intense. En hiver, les tempêtes sont nombreuses et la mer se déchaîne. En été, c'est la brume qui égare les bateaux. Les touristes viennent pour regarder la mer, même pendant les tempêtes car ils trouvent ça beau. Les Molénais aiment la mer, mais ils savent avant tout qu'elle est dangereuse, qu'elle peut ôter la vie.


 

Une tempête sur Molène durant l'hiver 1974. Extrait du film "Tempête 1974" de Paul Masson (1974)

Mon mari était originaire de Portsall. Il a commencé par la marine marchande avant de venir à Molène pour la pêche. Un jour, Philippe Estienne est venu le chercher pour prendre le commandement du canot de sauvetage : après hésitation, il a accepté. Il est resté dans l'équipage du bateau pendant douze ans, et il a fait environ quatre cent sauvetages dans les années 80-90.


 

Une présentation du canot de sauvetage "Jean Charcot", de son patron Charles Masson, et du second Jean Cam. Extrait de "Les goémoniers de Molène" de Roger Dufour (1956 environ)

Etre patron du canot de sauvetage lui conférait une très grosse responsabilité. Il devait être disponible à tout moment : je l'ai vu revenir à la maison après une journée de pêche, et devoir repartir aussitôt, sans même avoir le temps d'enlever ses chaussettes, car la sirène d'alerte au naufrage venait de retentir. Le lendemain matin, après une nuit sur le canot, il devait repartir à la pêche pour relever ses filets, sans avoir dormi. Il fallait également avoir les nerfs solides pour sortir en mer par des conditions de tempête. Quand on lui demandait comment la sortie s'était passée, il répondait toujours que la mer avait été comme un lac, et cela par n'importe quelle conditions.

Malgré la difficulté des missions, participer à un sauvetage, pour un Molénais, relevait d'une certaine fierté. Lorsque le canon d'alarme au pied du sémaphore tonnait, ou que la sirène retentissait, toute la population accourait au port pour avoir des informations. Les sauveteurs volontaires se pressaient vers le canot de sauvetage, et il y avait une certaine tension pour savoir qui monterait à bord. Les personnes refusées étaient souvent vexées.

Aujourd'hui, l'équipage est fixe et les sauveteurs sont souvent alertés directement chez eux par le CROSS Corsen.



Le hangar et la cale du "Charcot" au sud de l'île. Le lieu a pris le nom du bateau qui y était entreposé en cale sèche. Photogramme extrait du film "Promenade à Molène" de Corentin Beauvais (1950 environ). Photo Cinémathèque de Bretagne mai 2010

A l'époque, le canot de sauvetage, quand il n'était pas en mission, était conservé à sec dans le hangar de la SNSM. Lorsqu'il y avait un naufrage, il était lancé sur une cale au moyen d'un chariot et d'un treuil qui contrôlait le lancement.  Le 4 septembre 1956 il y a eu un accident marquant avec le canot "Jean Charcot". Pendant que le bateau descendait la cale, un problème de treuil l'a fait basculer sur le côté, au pied de la cale. Le patron a été grièvement blessé, et il a fallu deux jours pour retourner le canot qui était chaviré : s'il était réputé insubmersible, il n'avait pas été prévu pour se retrouver chaviré. Le patron n'a plus jamais commandé le canot et le "Jean Charcot", trop abimé, a été déclaré inapte.


 

"Le Notre-Dame du Calme" a talonné puis s'est échoué au large de Quéménez. Extrait du film "Ouessant 1968-69" de Jean-Pierre Gestin (1968)

De nombreux chalutiers ont talonnés sur les roches de l'archipel. C'est le cas du "Notre-Dame du Calme", un bateau de Lorient, dans la nuit du 18 janvier 1967, devant Beg Ar Groaz, sur l'île de Quéménez. Après que les pêcheurs de Molène aient donné l'alerte, le canot a pu sauver les treize membres de l'équipage et les ramener sur le continent. Seul le patron, originaire de l'île de Groix, ne voulait pas quitter le bateau. L'épave du chalutier est restée longtemps après le naufrage : la difficulté d'accès au lieu d'échouage ne permettait aucun renflouage.

 

La relève du phare des Pierres Noires par la "Ouessantine", vedette des Ponts et chaussées du secteur Le Conquet-Ouessant. Extrait du film "Ici finit la Terre" de Corentin Beauvais (1956)

Les vedettes de la SNSM, comme celles des Ponts et chaussées devaient également assurer le service de relève des phares qui balisent l'archipel Molénais et Ouessant. C'était un exercice périlleux car il fallait stabiliser le bateau tout près du phare et des rochers, puis débarquer, à l'aide d'un treuil, des hommes, des vivres, des tonneaux. Cette mission participait, comme toutes les autres, à la vigilance dans cette zone dangereuse de la mer d'Iroise.

 

Dernières Actus

Présentation de la Résidence

La Cinémathèque en résidence sur l'île Molène du 25 mai au 1er juin 2010




La Cinémathèque conserve en dépôt une trentaine de films sur l'île Molène et son archipel. Nous avons décidé d'aller directement sur l'île pour tester un type de résidence de documentation.

Le but était d'enrichir au mieux les films et de comprendre la valeur des images grâce aux témoignages des Molénais. Nous projetions les films à des petits groupes de trois ou quatre personnes qui nous apportaient leur connaissances sur les activités présentées à l'écran, et qui nommaient les personnes reconnues. Nous voulions également aller au-delà, cerner les particularités du territoire et comprendre les réalités passées et présentes de l'île, avec comme point de départ ces images amateurs.

Ces pages sont celles du carnet de bord de l'équipe qui a mené cette expérience. Elles présentent, au fil des journées, l'organisation du travail, les rencontres, les témoignages, des extraits de films projetés en rapport avec les thématiques abordées.












Il faut préciser que les témoignages reproduits ici sont une synthèse des longues entrevues qui ont été de cours pendant la résidence. Même si certains propos sont entièrement attribués à une personne unique, dans un souci de rigueur scientifique, nous avons projeté les films à plusieurs personnes différentes pour croiser les témoignages. Les propos reproduits ici sont la synthèse de ces croisements.

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