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Films
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Quand les femmes ont pris la colère - commentaire sur le film par Dominique Loiseau [34254]

2017 précisément | Alan LOZEVIS

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Film amateur

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Enregistrement sonore des commentaires de Dominique Loiseau lors de la soirée du 22 novembre 2017 à la médiathèque d'Allaire, diffusée dans le cadre de la résidence documentaire en Pays de Redon, commentaires sur le film "Quand les femmes ont pris la colère".

Dominique Loiseau parle à partir de 8'53''.
C'est le seul film de Soazig Chappedelaine en tant que réalisatrice et monteuse réalisé en 1976-1977, en supervision de René Vautier. ce film retrace les conséquences d'une action de solidarité en lien avec une grève chez Tréfimétaux (1975). L'originalité de ce film réside dans l'action de localiser autour des femmes et non des motivations. C'est quelque chose de nouveau. Ce film mêle le collectif et le privé , le travail et le politique. Les interviews des femmes présentent ce qu'est une ouvrière mais ouvre également sur le champ de l'intime (le couple, la sexualité). C'est un film novateur dans le monde du film militant. Les question soulevées alors sont encore d'actualités.

Les premières images ne sont pas tournées à l'usine Tréfimétaux mais par Mâle dans une usine de Rennes (Soazig Chappedelaine et René Vautier n'auraient pas eu l'autorisation de filmer à l'intérieur de l'usine).
ces 12 femmes de Coueron sont présentées comme des femmes de travail mais en partie. Les femmes ne sont pas que des femmes de travailleurs. Sur les 12 femmes, 6 sont inactives (elles n'ont pas de salaires), 6 sont salariées (mais pas à Tréfimétaux pour la plupart). Marylène a été un temps à Tréfimétaux mais licencié pour activités syndicales. Mais ces 6 femmes actives, on les perçoit comme étant femmes de . C'est le reflet d'une époque avec la lutte syndicale encadrée par le syndicat. Les femmes sont trainées en justice pour avoir soutenues leurs maris. Le syndicat CGT est majoritaire à l'époque. Les syndicats et notamment la CGT a une inquiétude face à la réaction des femmes d'ouvriers devant l'arrivée de la lettre. Il y a volonté d'encadrer les femmes pour éviter les débordements.
Le film a joué son rôle: il commence avant et après le procès. Les syndicalistes ont vu que le film étaient basé sur les femmes. Le syndicat souhaitait les encadrer. Les femmes sont soutenues ne sont pas intégrés dans les réunions syndicales de préparation (sauf avant le second procès).

Les grèves de 1975: 10 à 12 revendications dont la hausse des salaires, la retraite, les 40 heures par semaine, la suppression de la catégorie des manoeuvres (revendication obtenue pendant la séquestration).
La notion de lutte des classes est portée par les hommes.Les femmes décrivent la lutte des classes: l'amélioration économique va améliorer la vie des femmes. Mais ces femmes vont elles arrivées à une égalité?
Cela est aussi à mettre en parallèle avec les grèves chez LIP. C'est aussi l'époque des questions du féminisme au sein du syndicat.
Ce film a un paradoxe: la lutte des femmes supervisée par rené Vautier (à la suite de "Quand tu disais Valéry"). René Vautier n'avait pas compris à l'époque le problème intime es femmes. La liaison s'est faite grâce à Soizig Chappedelaine. Il y a aussi une différence de générations entre Vautier et Chappedelaine. Les questions de Vautier ne sont pas très ouvertes. Marylène a eu une vie difficile après.

Réflexion dans la salle: problème de calage dans le discours de Vautier au moment de la guerre d'Algérie, qui a certes été antimilitariste, mais qui s'est mal exprimé sur la lutte de libération de l'Algérie..

Le vote des femmes n'a pas été donné dans l'entre-deux-guerre car on avait peur qu'elle vote selon les directives du curé à droite. Les mouvements de la JOC, de la JAC avec des branches masculines et féminines ont un un impact sur la place des femmes, comme les mouvements familiaux (mouvement populaire familial, actif dans les actions de quartier). Des curés de gauche ont aussi soutenu les luttes ouvrières.

40 après, où en est t'on? La même situation ne pourrait pas se reproduire aujourd'hui. 85 % des femmes sont actives, 15% sont inactives (souvent des épouses de cadres). Le taux d'activité des femmes a augmenté. Aujourd'hui, elles ont des emplois à temps partiels, souvent précaires (emploi d'aide à domicile).
La domination masculine des syndicats est toujours assez forte. La CGT a décidé une parité, la CFDT a mis en place des quotas. On se heurte à une culture syndicale.
Parallèle avec le film de Demy "Une chambre en ville" sur les grèves de 1955.

Il y a peur des syndicats vis à vis des femmes.
Après 1968, la sexualité est abordée dans le monde ouvrier (choix de Marylène).





“Quand les femmes ont pris la colère” d'après Dominique Loiseau / LESTAMP-Nantes / Colloque syndicats et associations

“Quand les femmes ont pris la colère”(1) est un documentaire réalisé en 1976 à Couëron (estuaire de la Loire), où était implantée Tréfimétaux, entreprise de transformation du cuivre et de l’aluminium, appartenant au groupe PUK. La lecture croisée du film et des sources écrites(2)affine le regard sur la lutte menée autour de douze femmes inculpées suite à une action de solidarité avec les grévistes de l’usine, et sur les rapports entre CGT et Union des Femmes Françaises, qui se côtoient sans développer exactement les mêmes axes de soutien. Ces rapports me semblent symptomatiques des relations entre syndicat essentiellement masculin et association féminine, relations non réductibles à la mouvance communiste. En 1974, à son apogée, Tréfimétaux emploie 644 salariés dont 68 femmes (1 agent de maîtrise, 33 employées, 34 OS). En mars/avril 1975, de nombreuses grèves (3) s’y succèdent dans un contexte national de lutte des femmes (4) et de grèves ouvrières souvent liées à la défense de l’emploi mais offensives quant aux formes de lutte (5). A côté de la CGC qui n’appelle pas à la grève, la CGT, majoritaire, regroupe plus de la moitié des ouvriers, mais est peu représentée dans les autres catégories. Les sorties des grévistes sur le marché de Couëron sont encadrées par les délégués et, à leur demande, par les ouvrières de l’entreprise, craignant un “dérapage” si les hommes investissent les cafés (6). Cette fonction des ouvrières s’inscrit dans une vision traditionnelle des femmes gardiennes de l’ordre moral, mais le syndicat leur concède ici un rôle actif, dépassant l’iconographie syndicale du XIXème siècle, où l’épouse victime attend que son compagnon sorte du café. Les épouses des salariés entrent en scène car la direction refuse de négocier, et envoie au domicile de chaque salarié une lettre de mise en demeure. La CGT considère que la direction cherche à faire pression sur les grévistes, comptant sur l’inquiétude des compagnes face à la grève et à la baisse du revenu familial. Elle invite alors les épouses “à participer à une délégation auprès du directeur [afin de] l’informer de leurs difficultés à faire vivre leur famille avec les paies rapportées par leur mari.”(7) Après l’annulation d’une première tentative pour manque de préparation, la CGT distribue dans les ateliers une lettre destinée aux épouses via les maris, la réponse devant être transmise de la même manière. Les maris sont donc, de fait, les seuls interlocuteurs directs du syndicat. La CGT ne contacte pas l’UFF, pourtant implantée sur la commune, pour co-organiser la mobilisation. L’UFF, elle, crédite les femmes de cette initiative : “Couëron est une petite ville. Tout le monde s’y connaît, notamment les femmes des “Tréfimétaux”. Entre elles l’idée jaillit, court, enfle, se précise : “Et si nous allions voir le patron ?”(8) Elle ne mentionne pas la lettre de la CGT, opérant ainsi
quelques arrangements avec le réel. Alertée par deux d’entre elles qui en étaient membres, l’UFF déploie une intense activité, dans le comité de soutien (9) et de façon autonome, si bien que les inculpées y adhéreront quasiment toutes. En fait, la lettre de la CGT, et plusieurs interviewées dans le film, suggèrent une décision en plusieurs étapes : “Un certain nombre d’épouses de travailleurs se proposent de demander à être reçues par le directeur (...) Nous vous proposons de vous joindre à elles.” Le directeur refuse de recevoir la quarantaine de femmes qui se déplacent, mais une vingtaine d’ouvriers, accompagnés de douze femmes, entrent dans le bureau, s’y installent et y discutent trois heures avec le directeur, en présence des délégués. La CGT de l’usine va dès ce moment s’efforcer de conserver la direction de l’action et d’imposer ses décisions. Ainsi, à 19 heures, elle demande aux femmes de quitter le bureau, celles-ci n’acceptant qu’après un premier refus et trente minutes de discussion. Elles sont longuement applaudies à leur sortie. Plusieurs revendications sont satisfaites, mais le directeur porte plainte contre les douze femmes
pour séquestration. Pourquoi uniquement contre elles ? Peut-être sont-elles fragilisées par leur extériorité à l’entreprise, mais l’Humanité évoque également la volonté de l’union patronale de faire un
exemple, devant la solidarité manifestée par les femmes dans plusieurs conflits (10). En affirmant que les “épouses” n’ont pas leur place dans l’entreprise et dans les luttes qui y sont menées, la direction tente
de diviser le mouvement, s’appuyant sur les réticences d’une partie des ouvriers, et même de certains syndicalistes. Ainsi, dit l’un d’eux, “de toutes façons, j’aurais pas permis à ma femme de faire ce qu’elles ont fait (11)”. La CGT de son côté essaie de maintenir l’unité.
Pétitions, manifestations, articles dans la presse locale et nationale se succèdent, ainsi que des délégations au ministère du travail et à l’UIMM. Des appels à débrayage sont lancés pour le jour du
procès. Le courant communiste apparaît ce jour-là en position dominante, l’extrême-gauche étant très minoritaire, et les féministes venues plutôt à titre individuel. Un défilé de 2 à 3000 personnes, conduit par les inculpées, les accompagne au Palais de Justice de Saint-Nazaire. Deux cent salariés de Tréfimétaux sont venus soit, dit un militant, “infiniment plus que la participation régulière aux manifestations faites à Couëron”(12). La mobilisation est donc à la fois conséquente et modeste, au regard de l’important travail de popularisation réalisé. Il semble que l’UFF nazairienne ait en effet espéré la présence de 5000 femmes (13). Un car de l’UFF vient de Nantes, mais le cortège est loin de ne comporter que des femmes, comme en témoignent les images du film. Par ailleurs, les débrayages
d’entreprises nazairiennes prévus pour la fin de l’après-midi sont pris de cours par la brièveté de l’audience, le tribunal déclarant après quelques minutes la nullité de l’instruction. Illustrant le développement de l’emploi salarié féminin de la décennie 1970, six des “12 de Couëron” sont des actives, mais leur non-appartenance à Tréfimétaux et la présence de six inactives pèsent, consciemment ou pas, sur les modalités de direction du soutien : si les deux membres du couple
sont concernés par la lutte, celle-ci se déroule dans un premier temps sur le terrain de l’entreprise, donc du mari. Elle se déplace ensuite, au moins partiellement, hors de l’usine, mais les femmes n’en conquièrent pas pour autant une place équitable ; de même, l’UFF, qu’elles rejoignent, se mobilise en leur faveur sans diriger l’ensemble de la campagne de soutien. Dès l’annonce du dépôt de la plainte, la CGT-Tréfimétaux, pivot de la mobilisation, fait en sorte que “cette plainte du patron soit considérée par les travailleurs de Tréfimétaux comme une plainte contre leur grève, contre eux”(14) et, un mois après le procès, considère que “3000 travailleurs à Saint- Nazaire, un défilé combatif, de nombreux slogans, montraient bien qu’au-delà de ces 12 femmes
jugées, c’était la lutte des travailleurs qui était mise en avant”(15).
Considérer la plainte contre les femmes comme une plainte contre les travailleurs mobilise ces derniers et montre “à la direction qu’elle ne pourra pas tenir les travailleurs dans un état de peur au moyen de ce procès”(16). La CGT proclame qu’à la solidarité des femmes avec les ouvriers doit correspondre la solidarité ouvrière envers elles. “Les 12” deviennent “nos camarades”(17), intégrées dans un “nous” syndical défendant les sien(ne)s sanctionné(e)s comme tel(le)s. La lettre de soutien de 23 ouvrier(e)s d’une entreprise dijonnaise est d’ailleurs, selon le même processus d’intégration symbolique à la classe ouvrière et plus encore d’assimilation aux salariés, adressée “aux 12 camarades
de PUK, Couëron”18. Elle signifie aussi, inconsciemment, que le seul mode possible de reconnaissance de la combativité des épouses est une modification de leur statut. Ainsi, les femmes étant venues sur le terrain du compagnon, le “nous” syndical définit leur action par celle des maris, l’assimile à celle-ci. D’une certaine façon, la lutte contre l’inculpation des femmes reste subordonnée à la lutte dans l’entreprise. L’intégration des femmes dans le “nous” syndical ne s’accompagne d’une vraie prise en compte ni de leur association, l’UFF, ni des femmes à titre individuel. Même si elle en est proche politiquement, la CGT saisit surtout l’UFF dans sa dimension féminine, ce qui entraîne une certaine condescendance, voire une défiance liée à une double crainte : celle de femmes perçues comme non combatives, et celle de femmes agissant sans contrôle syndical. Elles ne participent pas aux discussions sur les actions à mener, le syndicat décide sans elles des formes de soutien à leur apporter, leur présence et leur parole n’en sont pas les pivots. Par exemple, leurs prises de parole se situent après celles des diverses structures de la CGT(19), et le Cahier consacré à ces événements indique, en un renversement symbolique de la situation, que le jour du procès, “les salariés de la Sotrimec (...) accueillent à Saint-Nazaire les ouvriers de Tréfimétaux accompagnés des 12 femmes”.
La CGT-Tréfimétaux exprime sa satisfaction sous cette forme : “Les femmes de travailleurs, en entrant dans la lutte aux côtés de leurs maris, ont fait un nouveau pas dans la prise en charge de leurs affaires. Et ce pas, nous le considérons comme important pour l’ensemble du mouvement ouvrier.”(20) Les syndicalistes ont longtemps redouté, voire fantasmé, l’influence démobilisatrice de ces épouses éloignées du terrain de l’entreprise, et le mari de l’une des inculpées s’en fait l’écho dans le film : [il craignait] “la réaction de la petite femme d’ouvrier normale”, poussant à la reprise du travail. Mais les faiblesses de la mémoire collective concernant les femmes construisent aussi une représentation tronquée : les femmes du milieu populaire doivent toujours prouver qu’elles sont aux côtés du mouvement ouvrier. Dans le département, les soutiens importants à la fin du XIXème (forges de
Trignac) et au XXème siècles (1955, 1964, 1967, 1974, ...) ne sont ni mémorisés ni mis durablement en valeur pour contrer l’image (et une certaine réalité) de conjointes hostiles. L’action des femmes — et de leurs associations qui suscitent, dans de nombreux cas, cette solidarité féminine — souffre d’un déficit de reconnaissance, y compris de la part des femmes. Que les associations se revendiquent du mouvement ouvrier ne semble rien changer, les dirigeantes déplorent les “réticences” des organisations syndicales, et parfois plus encore des hommes qui les composent.(21) Même satisfait du soutien apporté, le “nous” syndical supporte mal l’émergence d’un autre “nous” autonome, celui des femmes et de leur association, préférant ici appréhender les inculpées comme des “femmes de salariés”, alors que la moitié d’entre elles sont des actives. Elles-mêmes abondent d’ailleurs en ce sens
: “Quand on est monté chez le directeur, c’était pour défendre nos salaires”(22), dit ainsi Geneviève. Or, cette réaction de “ménagère” émane d’une salariée hors Tréfimétaux. Certes, la nécessité économique de deux salaires explique partiellement cette posture, mais d’autres analyses, émanant de personnes non directement concernées, vont dans le même sens : “Elles affirment par des actes que le droit pour leur mari d’avoir un salaire décent (...), c’est leur affaire à elles aussi. [Elles ont combattu] pour le droit de défendre leurs salaires”(23T). Toutefois, une dimension supplémentaire est apportée par une équipe du courant catholique-social : “Des femmes ont pris conscience de leur écrasement, elles se sont relevées. (...) elles se sont senties concernées ; elles sont sorties de derrière leurs casseroles”(24). L’Humanité dimanche, tout en insistant sur la solidarité des épouses, adopte la même approche : “pour elles, la chape de la résignation a éclaté.” De son côté, l’UFF affirme son soutien à “ces femmes qui ont défendu leur droit de vivre dignement, d’intervenir sur tous les problèmes qui [les] concernent,” [qui ont] donné leur avis sur un des problèmes les plus importants de la vie familiale : les ressources du ménage”. Elle insiste sur les motivations salariales, la solidarité conjugale, mais recentre aussi sur les femmes : “Devaient-elles se taire (...) dans un moment où promotion féminine, participation, égalité, étaient à l’ordre du jour de l’année internationale de la femme ?”(25) L’UFF et la CGT se rejoignent sur l’appréhension des femmes en tant qu’épouses, sur les salaires des maris perçus comme biens et objectifs communs, mais l’UFF s’inscrit dans une perspective plus large de lutte des femmes, incluant la notion de “promotion féminine”. C’est d’ailleurs à elle qu’échoit la tâche de susciter une solidarité féminine autour des inculpées. Ses organisations locales puis régionales et nationales se mobilisent. Pétitions, délégations, interventions d’élus, conférences de presse, collectes, journée départementale de solidarité le 22 mai 1976, le soutien aux “12 de Couëron” s’intègre dans une campagne plus large de soutien aux épouses de salariés solidaires de leurs maris(26), culminant le 3 juin à Paris : trois des inculpées y participent, parmi 25 femmes de Loire-Atlantique. La mise en valeur des “12” par l’UFF n’est d’ailleurs pas sans lendemain car au moins quatre femmes de Couëron participent à son congrès national de 1978.
Une affirmation semble générale : les couples concernés sont unis, fiers l’un de l’autre. Mais le film se fait également l’écho des difficultés de certains couples et des couples ouvriers en général, par la voix de deux inculpées, militantes avant la grève. Au-delà d’un discours parfois attendu, elles portent un regard critique sur les relations hommes/femmes, le rapport entre vie privée et conditions socio-économiques : elles évoquent les femmes battues, la communication difficile, la non- participation masculine au travail ménager... Si l’une estime que “la libération de la femme, ça passe par un changement économique”, l’autre pense que“que ce soient les ouvriers, les syndicalistes ou même les militants politiques, ils ont du mal à admettre la force que peut amener la femme dans certaines luttes (...), ils ont peur de rester coincés, les femmes vont trop vite pour eux, enfin ils le ressentent un peu comme ça (...) parce que eux aussi ils ont besoin d’une certaine éducation pour, comme on dit, la libération de la femme, et dans cette expérience de Tréfimétaux, je m’en suis vraiment
rendue compte.” Selon un ouvrier délégué CGT, la non participation des femmes aux décisions syndicales est une des conséquences des tensions internes durant les quatre mois de mobilisation, mais il ajoute que “cette volonté de maîtriser les actions engagées par le syndicat (...) sera renforcée lorsque René Vautier et Soazig Chappedelaine (...) commenceront à tourner un film non sur la grève ou le procès, mais autour des 12.”(27) D’une part le syndicat réagit à ce qui lui semble une dépossession, d’autre part il veut parler d’une seule voix. Les femmes sont perçues comme une éventuelle source de divergences, si bien que leur réflexion et leur parole n’émergent pas. La reconnaissance de l’appartenance symbolique ne signifie pas la reconnaissance du droit à discuter de ses propres affaires. Le syndicat prend leur soutien en charge, sans les entendre sur les modalités. Circonstance particulière, peut-on dire, mais d’autres exemples, tout aussi particuliers, révèlent les difficultés syndicales à gérer les conséquences de la solidarité des épouses : les mineurs anglais en 1984, les marins-pêcheurs français en 1994, tout en réclamant et louant le soutien apporté, refusent une implication reciproque plus importante des femmes et du syndicat. Les mineurs leur refusent le statut de “membre associé”, les pêcheurs le droit de voter pour ou contre la poursuite de la grève(28). Le syndicat peine à maîtriser cette dimension . Et, sans pour autant revendiquer une autonomie, “les 12” lui reprochent, lors de deux réunions tenues après le procès, de ne pas les avoir associées aux décisions. L’action des femmes a été exaltée, elles sont devenues un symbole du droit à soutenir les maris en grève, mais sont écrasées par le poids même de ce symbole (29). Il est vrai que l’intervention des femmes en 1975 “n’avait aucun sens féministe (au moins subjectivement) et correspondait seulement à la mise en pratique d’une tactique de lutte offensive pendant le conflit” (30).Le film, dont le tournage commence quelques mois avant le procès, joue un rôle d’accélérateur pour renforcer les liens entre les inculpées et amener les ouvriers de l’usine à se situer par rapport à leurs femmes, car il pose la question du privé ; face à plusieurs inculpées “qui revendiquent le fait d’être femmes, certaines femmes de Tréfimétaux se mettent à penser qu’elles aussi sont concernées, qu’elles aussi ont des revendications spécifiques. D’ailleurs, dans le film, plusieurs [ouvrières] font apparaître ces questions pendant leur interview”(31). L’entrée d’une salariée, M., à Femmes travailleuses en lutte (32) avant le procès accèlère aussi la réflexion. En septembre 1976, le syndicat se réunit avec “les 12”, afin de “définir les modalités d’action pour obliger le patron à retirer sa plainte. Plusieurs décisions sont prises : associer les 12 femmes à la Commissionexécutive du syndicat, rédiger un tract signé conjointement par la CGT de l’usine et les 12 femmes, relancer le comité de soutien, accentuer le lien entre les ouvrières de l’usine et les 12 femmes inculpées”(33). Le retrait de la plainte rend ce dispositif caduque, mais la réflexion se poursuit, entraiînant la mise en place d’un collectif féminin dans l’entreprise (de 1977 à 1979) et la participation de M. à la conférence nationale femmes CGT de 1977, mandatée par la CGT de Tréfimétaux. S’y ajoute la formation d’un collectif féminin à l’UL de la Basse-Loire, qui sera mixte, pour cause de... manque de femmes, et sera peu actif, en raison du petit nombre de participants et de sa faible durée de vie (à peine 2 ans). Il disparaît en même temps que le collectif de l’usine, ce qui laisse supposer que les autres entreprises de la Basse-Loire étaient peu mobilisées sur ce plan. En fait, tout se cristallise, puis se délite, autour de quelques personnes : le collectif de Tréfimétaux, composé seulement de M. et de deux hommes, s’écroule quand M., démoralisée, “a tout envoyé chier”. Les comportements sexistes réapparaissent dans l’usine, alors qu’ils avaient été mis en échec durant l’existence du collectif. Celui- ci a donc plutôt intimidé que réellement convaincu. Quand le collectif organise avec le Planning familial une réunion pour le renouvellement de la loi Veil, chaque salariée reçoit une invitation, “et les hommes avaient reçu le conseil, s’ils avaient l’intention de venir, d’emmener leurs femmes avec eux”(34). Formulation traduisant de bonnes intentions, mais également une perception spécifique des relations au sein du couple, la capacité d’information et de décision autonome des femmes n’apparaissant guère. Et là encore, cette initiative est prise sans le concours de l’UFF. La conférence de presse CGT-Tréfimétaux (14/4/76), tout en valorisant l’action des femmes, traçait aussi les limites de l’autonomie : “La lutte des femmes est juste, car il est juste de vouloir vivre mieux. Nous pensons que l’entrée en lutte des femmes aux côtés de leur mari est un pas important dans le mouvement ouvrier. C’est cela la véritable libération des femmes.” D’autres louanges, en suggérant une motivation particulière des femmes du fait de leur féminité, introduisent parfois une vision restrictive de leur action ; ainsi cet article disant qu’elles n’ont rien voulu faire d’autre qu’apporter “leur part de coeur dans un conflit d’hommes”(35). De même, Claude Poperen, membre du bureau politique du PCF, évoque le jour du procès le “courage et l’esprit civique de ces 12 mères participant au combat pour le droit au bonheur”. Mères, coeur, bonheur, spécificité du vocabulaire ramenant les femmes au privé, au sentiment. Or, par leur intervention, elles ont transgressé le rôle qui leur est assigné, “mettant en harmonie le dedans et le dehors, le privé et le public, le “coeur” et la conscience politique,”(36) ou du moins syndicale. Malgré tout, “les 12” estiment qu’elles ont beaucoup appris sur le plan syndical et politique, se sont rapprochées de leurs maris et ont été valorisées à leurs yeux(37). La CGT-Tréfimétaux réussit à préserver l’unité entre les salariés de l’entreprise et les inculpées, mais sans vraiment considérer ces dernières comme sujets à part entière. L’accueil des femmes non salariées (ou appréhendées comme telles) dans le mouvement ouvrier, du fait de leur solidarité, suppose leur encadrement par le syndicalisme. Et l’UFF, tout en contribuant à ériger des “femmes debout”(38), et malgré son regret devant les “réticences” évoquées, est trop liée à la CGT et au PCF (et désireuse de s’en faire reconnaître) pour pouvoir ou vouloir conquérir une réelle autonomie vis-à-vis d’eux(39). “La promotion féminine [ dit l’UFF ] est étroitement liée à l’amélioration des conditions de vie.”(40) L’accent mis sur la promotion féminine est un rappel utile pour le syndical et le politique, mais en donnant le primat à la lutte des classes, l’UFF accepte de leur être subordonnés. La vision syndicale restrictive de l’autonomie des femmes et de leurs associations explique que leur rassemblement au nom de l’UFF pose problème à plusieurs reprises. Ainsi, l’UFF nazairienne, qui réunit des épouses de grévistes cette même année 1976, estime que “c’était une réussite, mais on a senti tout de suite après des réticences : de quoi se mêlent-elles ? et quand on a essayé de faire la même chose dans d’autres mouvements de grève, on a eu des réticences, je dirais plus des hommes que des organisations syndicales”(41). Les responsables d’associations de femmes au foyer se rattachant au courant catholique-social dressent un bilan comparable. Aucun syndicat n’est donc à incriminer de façon spécifique. Tous reflètent, dans leurs relations aux associations de femmes, l’état des rapports sociaux de sexe en vigueur dans la société considérée.

(1)Réalisé par Soazig Chappedelaine, supervisé par René Vautier, 1h.20.
(2) Articles de presse locaux et nationaux, presse d’organisations, archives de militants.
(3)Autour de douze revendications, en particulier les salaires, l’application des 40 heures, la garantie de l’emploi, la
suppression de la catégorie des manoeuvres, l’âge de la retraite.
(4)Création du MLAC en 1970, loi Veil autorisant l’IVG en 1975...
(5)Occupations, séquestrations, reprise de la production : Lip, Cerisay, Le Joint français, Rateau...La région est également
concernée par la mobilisation anti-nucléaire.
(6)Une ouvrière, L”usine, 1975/1976, la grève, quand les femmes ont pris la colère, Cahier n°2/juin 1999, Association “Une
tour, une histoire”.
(7) Lettre CGT aux épouses. Cahier cité.
(8) Jacqueline Gelly, Moi Claire, Stock, 1977.
(9) Collectif d’organisations.
(10) L’Humanité, 14/06/76, se référant à UIMM actualités, janvier 1976. Union des Industries Métallurgiques et Minières.
(11) Relaté dans le film par l’une des inculpées.
(12) Entretien avec P. J., Dominique Loiseau, ouv. cité.
(13) Conseil local de mai 1976, archives UFF.
(14) Cahier cité, p.69.
(15) Le travailleur de la Tour, bulletin CGT-Tréfimétaux, n°10, juillet 1976.
(16) Conférence de presse CGT le 14/4/1976 (Presse Océan du 15/4/76).
(17) Tract CGT-Tréfimétaux du 14/4/1976.
(18) Cahier cité, p.88.
(19) Cahier et film.
(20) Tribune des travailleurs, CGT Basse-Loire, n°15, juin 1976.
(21) Dominique Loiseau, ouv. cité.
(22) Humanité Dimanche, juin 1976.
(23) Témoignage, (courant ACO) n°250, septembre-octobre 1976.
(24) Compte rendu de l’équipe secteur Basse-Loire nord, en révision de vie.
(25) Heures Claires, juillet 1976, et Moi Claire, Jacqueline Gelly, Stock, 1977. Tract national , archives UFF.
(26) Heures Claires n°138, juin 1976.
(27) Cahier cité, p.69.
(28) Dominique Loiseau, “Du côté des syndicats”, Un siècle d’antiféminisme, dir. Christine Bard, Fayard, 1999.
(29) Dominique Loiseau, ouv. cité.
(30 )Le travail femmes à ..., op. cité.
(31) Le travail femmes à ..., op. cité.
(32) Liées à un groupe “gauchiste”.
(33) Cahier cité.
(34) Le travail femmes à ..., op. cité.
(35) Ouest-France, 18/06/1976.
(36) Jacqueline Tardivel, Des pacifistes aux résistantes, les militantes communistes en France dans l’entre-deux guerres, thèse
d’histoire, Paris VII, 1993.
(37) Interviews des inculpées dans le film. Un bilan effectué quelques années plus tard montre que deux sont devenues
militantes à l’UFF, une à la CGT. L’une des deux militantes originelles a poursuivi son engagement.
(38) Sous-titre de la brochure L’Union des femmes françaises, 1965-1985, et nom d’une sculpture réalisée à la demande de
l’UFF.
(39 )Pour de plus amples développements, Dominique Loiseau, ouv. cité.
(40 ) Aperçu de l’activité de l’UFF depuis sa naissance, document UFF, XIVème congrès, 1982.
(41) Dominique Loiseau, ouv. cité.

L'homme, qui est interviewé vers le milieu du film, avec des lunettes et un polo rouge est un syndicaliste CGT et s'appelle Pierre Jourdain.

Quand les femmes ont pris la colère
Documentaire / France / 1977 / 1h16 / 16 mm / Coul.

Réalisation : Soazig Chappedelaine
Image : Bruno Muel, Théo Robichet et Pierre Clément
Superviseur : René Vautier
Montage : Maryvonne Le Brishoual
Son : Soazig Chappedelaine
Mixage : Antoine Bonfanti
Production : U.P.C.B. (Unite de Production Cinéma Bretagne)
Conservation : Cinémathèque de Bretagne
Distribution : Cinémathèque de Bretagne

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