Pierre-Jean Vazel est obsédé par les chiffres. Doué d'une mémoire phénoménale, ce jeune homme, " synesthète ", perçoit depuis sa naissance les chiffres sous différents modes sensoriels. De là, son immense passion pour eux, puisqu'ils sont pour lui une odeur, un son, un mouvement, une matière, une couleur… tout comme les voyelles de Rimbaud elles aussi en avaient une…

Tout jeune déjà, dans des piles de cahiers, il compulse et note avec émotion tous les records chiffrés des sprinters du monde entier. Puis, sur le Net ou par la suite dans les bibliothèques les plus reculées d'Europe, il consulte les meilleurs spécialistes en sprint de la planète, dévore des tonnes de documents statistiques. Ainsi, dans sa recherche obsessionnelle de chiffres, il sort peu à peu de sa bulle et de sa solitude, esquissant ses propres modélisations biomécaniques…

A 24 ans, devenu étudiant aux Beaux Arts de Rennes, il entraîne " par correspondance " Olusoji Fasuba, un jeune Nigérian de quatre ans son cadet, rencontré par hasard. L'année suivante, celui-ci devient le 6ème homme le plus rapide de l'histoire en courant le 100 m en 9''85 !

Quelques mois plus tard en France, une bombe éclate dans le saint des saints de l'institution sportive : Ronald Pognon, le recordman de France du 100 m et recordman d'Europe du 60m, une des " stars " de l'athlétisme français, quitte son entraîneur de renom, cadre d'Etat et de la Fédération, pour ce jeune " coach " inconnu, atypique et sans diplôme…

Mars 2008, en marge de toute institution, toujours sans métier et sans argent dans ce milieu hyper sponsorisé, le jeune homme - très estimé à l'étranger pour son sérieux et son érudition - mène Olusoji Fasuba à la victoire : celui-ci devient Champion du Monde sur 60 m !

Que cherche au fond Pierre-Jean Vazel lorsqu'il dissèque chaque 100m en un peu plus de 500 images ? Des chiffres ! Mais encore ? Il " n'en sait rien ". Et a peur de savoir après quoi il court depuis toutes ces années…

Pourtant, il a écrit un jour que dans cette relation complexe et contrastée "entre la froideur des chiffres, des plans d'entraînement et les images des corps", il lui semblait qu'il cherchait inlassablement à sa manière ce qu'André Breton appelait " l'Or du Temps "…