« J’avais presque réussi à l’oublier. Les rares objets que j’ai récupérés après sa mort m’ont rappelé à son souvenir. Une photo noir et blanc où il est représenté en uniforme de la marine et un livret de solde m’ont fait réaliser qu’il avait fait la guerre d’Algérie lorsqu’il avait 20 ans. Ça aussi, je l’avais totalement oublié. En définitif il ne me reste qu’une mémoire très partielle de son histoire. Je me suis alors inventé une multitude d’histoires héroïques et tragiques qui pourraient peut-être expliquer sa vie si tourmentée.
Un soir, Il a tout brûlé. Photos, documents, il a tout effacé, las de ne pouvoir trouver la reconnaissance des souffrances endurées. Depuis, il n’en a plus jamais parlé en famille. J’étais trop jeune et je ne comprenais rien de cet homme qui me faisait peur. Je me rappelle encore son visage devenu violent et alcoolique, mais je ne pouvais l’imaginer jeune plein de vigueur et d’espérance. Je ne connais rien de lui, son absence doit être aujourd’hui comblée. Sans chercher d’excuse à la vie douloureuse qu’il a fait mener à sa famille, je voudrais montrer à travers cette histoire personnelle comment on a volé la jeunesse de ces appelés.
Dès l’âge de 14 ans, mon père embarque sur des navires de pêche pour gagner sa vie. C’était l’époque d’après guerre, la reconstruction de la France n’était pas encore achevée. La pêche ne s’était pas encore développée de façon industrielle. Sur une photo représentant l’équipage d’un cordier, je reconnais mon père au centre du groupe. C’était quelques semaines avant son départ pour le service militaire. Une génération est passée et en regardant les photographies j’ai l’impression que des siècles nous séparent. Le film s’attardera sur le contexte des années 50-60, mais aussi sur l’univers de la pêche en Normandie avant les progrès techniques apportés aux chalutiers ».
A travers divers documents historiques et des témoignages, le réalisateur tente de reconstituer les moments importants de la vie de son père durant la guerre d’Algérie. Une période très contrastée pour les hommes qui y ont participé. L’expérience a pu être anodine pour certains, alors que d’autres ont vu et fait des choses inavouables. Quelles ont été les répercutions physiques, mentales et politiques pour une génération d’hommes sacrifiés ? Comment faire revivre ce qui n’est plus ? La mémoire peut-elle s’inventer ou se réinventer non pas pour se détourner de la vérité, mais pour comprendre les zones sombres de notre histoire ?
Le film se situe donc entre enquête et fantasme. N’ayant quasiment aucune archives personnelle, le réalisateur s’efforce de construire ce passé virtuel par le biais d’images d’archives, d’extraits de film et des séquences d’animations liés à des souvenirs d’enfance. Film de fin d'études 19ème promotion section montage.