Attendre la Libération : les poches de l'Atlantique Montage et commentaire réalisés par Ludine Berry, Enora Benon, Anaïs Sinquin et Léo-Pol Sellin |
Une poche désigne un bastion de résistance, un territoire encerclé qui refuse de se rendre. C’est exactement la situation des ports de Lorient et de Saint-Nazaire, deux poches de l’Atlantique où la Libération ne survient qu’en 1945. Le cas exceptionnel mérite notre attention : alors que la majeure partie de la Bretagne est libérée dès août-septembre 1944, ces territoires tiennent jusqu’à la capitulation de l’Allemagne. Pourtant, malgré cette singularité, ces poches restent en marge de la mémoire collective et sont souvent qualifiées de fronts oubliés.
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Défense de Saint-Malo, Emile Gaudu, empreinte de l'Attila (L') [3728]. 1945 |
Oubliés par les Alliés
La libération de la Bretagne ne suit pas un parcours linéaire. Après la percée d’Avranches, les Alliés avancent rapidement mais se heurtent à des obstacles majeurs : véritables forteresses (Festungen) entourées de champs de mines, de fossés antichars et de casemates, les ports de Saint-Malo, Brest, Lorient et Saint-Nazaire sont de véritables bastions défensifs.
Les soldats du général Patton atteignent Saint-Nazaire le 5 août, puis Lorient le lendemain et enfin Brest le 7 août. Cependant, face à l’ampleur du dispositif défensif de ces villes, les Alliés choisissent de concentrer leur offensive sur un objectif prioritaire : la cité du Ponant. Tandis que le front se fige autour des deux futures poches, une bataille acharnée se déroule à Brest jusqu’au 19 septembre 1944, aboutissant à la reddition du réduit de la presqu’île de Crozon.
La bataille de Brest, pour un résultat décevant, a un coût humain très lourd pour les Américains : le port est en ruines et inutilisable pour le débarquement de matériel. De toute façon, la Bretagne est désormais trop éloignée du front pour jouer un rôle clé dans la logistique militaire. Le projet de port artificiel en presqu’île de Quiberon est donc abandonné, d’autant que les Alliés disposent déjà du port de Marseille, ouvert au trafic depuis le 28 août, et de celui d’Anvers, libéré le 4 septembre. Lorsque la bataille de Brest s'achève, la ville de Paris est libérée depuis le 25 août 1944 et les Alliés avancent déjà vers Verdun et Arras. Les deux dernières forteresses bretonnes ne représentent plus un enjeu stratégique majeur. Plutôt qu’une nouvelle offensive meurtrière, les Alliés choisissent de les encercler et de les isoler.
Prisonniers des poches
Les poches de Lorient et de Saint-Nazaire comptent respectivement 25000 et 23000 soldats allemands, cohabitant avec des civils pris au piège. Leur présence varie cependant : à Lorient, la plupart des habitant.e.s ont été évacués dès 1943 en raison des bombardements, laissant une ville presque vidée de sa population. À l’inverse, la poche de Saint-Nazaire, la plus vaste avec 2 000 km², regroupe encore 100 000 civils. Lors de trêves, surtout à l’automne 1944 et au printemps 1945, la Croix Rouge organise des évacuations avec l’aide des autorités allemandes. Pourtant, de nombreux habitant.e.s refusent de partir, par peur des pillages et dans l’espoir d’une libération rapide par les Américains.
Qu'ils soient soldats assiégés ou civils, tous.tes sont rapidement confronté.e.s au manque de ravitaillement. Pour survivre, les troupes d’occupation pillent les fermes, multiplient les vols et commettent des crimes de guerre. Dans le film ci-dessus, Angèle Foucher et Thérèse Maurice témoignent des difficultés d’approvisionnement à Saint-Père-en-Retz, une commune de la poche de Saint-Nazaire, située à la limite du front.
Les assiégeants
Ces poches de résistance n’ayant plus d’intérêt stratégique, les Alliés choisissent de ne pas y fixer leurs troupes. Selon l’historien Stephan Weiss, on compte un seul soldat allié pour trois combattants allemands encerclés. La majorité des forces sont donc françaises. Ainsi, en octobre 1944, près de 65000 ex-FFI sont déployés devant les poches de l’Atlantique, un nombre qui atteint 85000 en janvier 1945.
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Saint-Nazaire et sa région en août 1944. Carte, Léo-Pol Sellin. |
Mal équipés, ces résistants manquent d’armes face à l’armée allemande et de vêtements pour l’hiver 1944-45. Ils reçoivent du matériel des armées alliées, surtout canadiennes, mais en quantité insuffisante. Pour les aider, des associations comme Les Amies du Front de Lorient, collectent vêtements, couvertures et vivres dans les environs de la poche et les distribuent aux combattants. Le film Entrée des F.F.I. à Quimper [8467] montre l’une de ces livraisons à la 5e et 6e compagnie du bataillon de la Tour d’Auvergne.
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Engagées du bataillon FFI "La tour d'Auvergne" sur la poche de Lorient. Archives municipales et communautaires de Quimper, 59 J 15, Fonds Césaire Le Guyader. |
La reddition des poches
La fin des poches devient inévitable à partir du 30 avril 1945, après le suicide d’Hitler à Berlin. Le 7 mai, un message radio en provenance d’Allemagne appelle toutes les garnisons à se rendre. À Lorient et Saint-Nazaire, la reddition apparaît comme la seule option pour le commandement allemand. Le film Bombardement et reddition de la poche de Lorient [3193], document exceptionnel, montre les allers-retours entre Étel, côté alliés, et le port du Magouër, dans la poche de Lorient, le 7 mai 1944. Ce jour-là, les négociations aboutissent à la capitulation sans condition des troupes allemandes à Lorient, à 20h. Ce n’est que trois jours plus tard, le 11 mai, que la poche de Saint-Nazaire capitule.
Épilogue
La Bretagne abrite les deux zones les plus tardivement libérées d’Europe. Ces fronts oubliés ont engendré un sentiment d’abandon chez les civils, contraints de vivre une guerre prolongée sans explication. Coincés dans ces poches de résistance, certains ont même été soupçonnés de collaboration simplement à cause de leur présence. Aujourd’hui, ces fronts sont peu présents dans les mémoires, ou, comme le souligne Stephan Weiss, sont reconnus de manière paradoxale : on s'en souvient précisément parce qu'ils ont été oubliés.
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Reddition officielle le 10 mai 1945 à Lorient, Bombardement et reddition de la poche de Lorient, Opérateur armée américaine, [3193]. 1945 |
N.B : Les extraits utilisés dans le film sont à titre d’illustration et ne reflètent pas toujours fidèlement les lieux mentionnés. Seul le propos historique est authentique.
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